Jour 17 – Vers la Corée

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Notre ultime traversée vers notre objectif est imminente : rejoindre le Japon depuis la France sans avoir décollé de terre, bien qu’il faille encore reprendre la mer.

En effet, le pays du Soleil levant est un archipel ne présentant aucune frontière terrestre avec ses pays voisins, et partage une distance d’à peine 50 kilomètres d’écart entre son point le plus au Nord et la Russie. Malheureusement, cette liaison maritime qui s’opère entre les villes de Korsakov et Wakkanai n’accepte plus les étrangers dans leur ferry, car le tourisme n’est plus à l’ordre du jour depuis l’hiver dernier.

En plus de la Russie, l’archipel nippon est aussi – géographiquement – proche de la Corée du Sud, où l’on compte seulement 60 kilomètres entre le plus grand port du pays situé à Busan, là où s’arrêtent les derniers trains, et le port d’Iki situé dans la province désormais fantôme de l’île de Tsushima.

Les correspondances navales entre les deux pays opérant dans le Détroit de Corée sont nombreuses, et s’étendent même dans la Mer du Japon jouxtant à la fois la Russie, la Corée et son pays éponyme. En toute logique, notre vaisseau pour notre dernière pérambulation aquatique sera d’origine coréenne, arrimé par la compagnie DBS Cruise : ce dernier réalise des navettes régulières entre la Russie et le Japon avec un entracte sur sa terre natale, soit une excursion de Vladivostok où nous sommes vers la ville de Sakaiminato, incluant une halte à Donghae.

Corée du Sud, Russie, Japon : mince, ce n’est pas dans l’ordre.

En ce matin calme, toutes les conditions sont réunies pour arriver à bon port en terres sud-coréennes : la pluie a cessé de battre, les nuages ont pris les voiles, la houle a laissé place à l’ataraxie, et le navire jamais en panne est déjà au pied du port, avec les lettres “DBS” visibles de loin, à en faire pâlir Aston Martin… Il ne nous manque plus que les billets !

Rassurons-nous, nos places sont bien prévues à bord pour aujourd’hui, mais il est important de noter que ce déplacement est le seul prévu du voyage où nous ne possédons pas encore les tickets en main, bien que les réservations aient été réalisé en amont. Le site internet de DBS Cruise propose toutes les informations sur les itinéraires, les horaires, ainsi que les choix de nuitée au sein du bateau Eastern Dream. Toutefois, lorsqu’il s’agit de réserver un trajet, les possibilités se rapprochent d’une viduité sans égale tant les informations sont introuvables quelles que soient les pages affichées ou les langues proposées.

La place assurée à quai se fait donc, soit le jour-même au guichet avant l’embarquement, soit plusieurs semaines à l’avance par échanges d’e-mail en attendant de récupérer son ticket… le jour-même au guichet avant l’embarquement !
Par ailleurs, si une preuve d’arrivée ou de départ sur les territoires des pays concernés est exigée par contrainte administrative, comme l’obtention d’un visa par exemple, il est recommandé de demander une copie de ce billet de transport suite aux discussions engagées par courrier électronique : cette copie numérique du ticket fournit une preuve suffisamment concrète pour les organismes d’une part, et atteste d’autre part, un soulagement plus personnel de voir sa réservation confirmée avant de partir de chez soi, sac sur le dos.

Corée du Sud, Japon, Russie, Corée : mince, ce n’est toujours pas dans l’ordre.

A quai, une certaine joie embaume l’air et se mêle aux embruns. Les mouettes ne sont pas les seules à être rieuses, comme en atteste cette rencontre saugrenue avec une famille chinoise qui, avant d’embarquer, tenait absolument à prendre des photos avec nous, et à échanger quelques éclats de rires.

Toujours lors de l’embarquement, une autre rencontre avec une autre famille, française cette fois-ci, nous laissent les sourires accrochés aux oreilles. Si notre vision du voyage peut sembler atypique, ces citoyens du monde voient l’aventure en grand, et entament leur troisième année de tour du monde en camping-car ! Nous échangeons nos vécus, nos joies, nos galères, ainsi que nos passages respectifs en Russie qui fut bien plus chaotique pour la petite famille du Voyage en théorie : une épreuve de patience détaillée sur leur blog que je vous recommande vivement de lire.

L’équipage est fin prêt et nous invite déjà à emprunter les marches vers une traversée de deux jours en mer en leur compagnie, et nous propose de prendre nos quartiers en nous délivrant la clé de notre chambre.

Vous êtes ici. Sur un bateau coréen.

Outre le confort de la pièce, avec lits, salle de bain, toilettes, réfrigérateur et téléviseur, de délicates attentions nous sautent aux yeux : des chaussons neufs, des serviettes propres, des bouteilles d’eau et de thé vert à notre guise, et deux trousses de toilette dont une bleue pour Monsieur et une rose pour.… Monsieur.

Les musiques douces et mélodieuses entrecoupant chaque annonce en coréen, russe, et anglais sont des reprises au piano des thèmes principaux des films d’animation japonais du Studio Ghibli : comme un avant-goût du Japon qui séduisent sans peine nos oreilles.
Tout comme ses modes d’hébergement, le ferry propose sur ses trois étages un nombre assez varié de services avec un restaurant, un bar, des distributeurs, une épicerie, une boutique de souvenirs, une discothèque, et même une salle de karaoké !

Des bains à la japonaise dans un ferry sud-coréen : le choc des cultures.

Rien ne manque pour passer un agréable trajet et goûter de nouvelles spécialités de toutes sortes pour tous les budgets, encore faut-il savoir comment et obtenir les bons renseignements.

Illustration de quête d’informations avec l’équipage :
« Bonjour, nous avons vu que vous avez un restaurant à bord : quelle est la procédure pour déjeuner, je vous prie ?
– Nous ne pouvons pas vous informer tant que le navire n’a pas démarré, merci. »
Ellipse temporelle
« Maintenant que le bateau a démarré, pouvez-vous, s’il vous plaît, nous indiquer comment déjeuner dans votre restaurant ?
– Avec un ticket acheté ici, avant que le bateau ne démarre. : nous n’avons plus de ticket pour aujourd’hui, merci. »

C’est froid, c’est rude, c’est sec même pour un trajet en pleine mer, mais après tout, c’est eux qui décident.

Effectivement, le restaurant fonctionne par tickets, similaires à ceux du rationnement, donnant en échange un plateau-repas unique, devant être englouti à heures fixes et horaires stricts. Pour le dîner, personne ne peut entrer avant 17h00 et tout le monde doit décamper à 17h30 au plus tard.
Cette méthode de distribution surprenante à première vue permet en réalité de rendre service à tous les membres de l’équipage, qui peuvent quantifier sans perte les menus à pourvoir, et assurer la maintenance sous n’importe quelle condition, mécanique ou météorologique.

DOUBLE RAINBOW !

Cette première information découverte sur place n’est ni la seule, ni la plus notable : même si le restaurant est fermé, le bar et l’épicerie sont ouverts à toutes heures, et proposent également de quoi se remplir la panse en échange de quelques deniers.
C’est à ce moment très précis, où la faim se fait le plus entendre, qu’il faut remettre les pendules à l’heure : tout ce que vous pourrez lire ou entendre à propos de ce ferry-boat sur les devises monétaires est faux.

Tout d’abord, seuls le Won (monnaie sud-coréenne), le Yen (monnaie japonaise) et le Dollar (monnaie états-unienne) sont acceptés sur le bateau.
Vous partez de Russie et vous voulez payer en Rouble ? Rires au nez garantis.
Il vous reste des Euros ? Personne ne connaît cette devise semblant issue tout droit d’une boîte de jeu Monopoly.

Ensuite, ne cherchez pas de quoi retirer de l’argent, nous sommes sur un bateau et, comme dans un train peu importe la longueur de son trajet, aucun distributeur n’est présent.
Un bon conseil pour éviter cette situation embarrassante : avant d’embarquer, au moment de prendre votre billet au guichet, prenez quelques espèces et échangez-les en Won ou en Yen au guichet opposé, afin de gagner en sérénité le temps de rejoindre la Corée du Sud.

Malgré la fermeture anticipée du restaurant et la futilité de nos pièces et billets, il nous reste encore un dernier moyen de paiement pour avoir de quoi se sustenter : la carte bancaire.
Celle-ci est acceptée à bord mais aujourd’hui, le destin souhaite que nous dormions l’estomac vide car… elle ne fonctionne pas. Plus déroutant encore, aucun terminal de carte bancaire ne semble vouloir valider nos paiements. La raison évoquée serait l’orage violent qui se rapproche et détraquerait certains systèmes électroniques, et la seule solution serait d’attendre qu’il passe et réparer les terminaux une fois arrivés à la maison-mère.

Nom de Zeus, aurions-nous des visions ?

L’équipage nous mènerait-il en bateau, là n’est pas la question : lorsque les têtes et les ventres grondent face au personnel peu coopératif, il faut trouver une autre approche.
Nous expliquons alors pas-à-pas toutes les étapes de notre situation à un nouveau membre de l’équipage qui, pour la première fois, nous écoute et comprend notre position démunie.
Spontanément, je lui propose alors d’échanger en mains propres mes Euros avec ses Wons.
Dubitatif mais curieux de découvrir une nouvelle devise, il me demande quel est le taux de change. Pour faire le plus simple possible, je lui réponds que l’Euro équivaut au Dollar même si ce n’est pas totalement juste.

A vrai dire, la valeur de l’Euro est plus forte que celle du Dollar à l’heure actuelle, et échanger des Euros avec un taux plus faible que celui d’origine m’en fera forcément perdre mais si l’échange se fait, alors tout le monde est gagnant : de notre côté, je perdrais des Euros mais nous aurions enfin des Wons en main pour pouvoir nous payer un repas, et de l’autre côté, l’échange de Wons se ferait à un taux imbattable et il pourrait échanger de nouveau les Euros en Wons en restant toujours bénéficiaire, même après commissions.

Notre interlocuteur intéressé, désormais apprenti banquier, accepte l’offre, et souhaite faire un échange standard à 1000 Wons pour 1 Dollar, ce qui avec nos 50 euros nous donnent droit à 50000 Wons en liquide encaissés sur place, à la caisse de l’épicerie du navire.

Nos premiers Wons en billets durement gagnés (≃ 8€ présentés).

Un grand merci pour nous avoir accordé du temps et d’avoir été si compatissant, nous avons enfin de quoi passer la nuit apaisés et repus !

Notre premier repas coréen, une soupe relevée au Kimchi et au lit.

Après avoir fait quelques provisions avec nos premiers Wons, au cas où le ciel nous retomberait sur la tête, nous nous précipitons au bar pour célébrer notre premier passage en Corée en goûtant le fameux Kimchi-Jjigae, qui nous réchauffe les papilles et les pupilles, tout en contemplant le spectacle naturel hypnotique qui nous fait face, les illuminations des orages lointains et silencieux qui ne cessent de zébrer l’horizon nocturne nord-coréen.

Les éclairs sont trop lointains pour les entendre, mais assez proches pour les admirer. Bonne nuit !

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