Voir le pays du matin calme, en écoutant chanter le vent…
C’est à ces vers chantés par Henri Salvador, bien avant notre naissance, que notre réveil ressemble précisément, après une douce nuit laissant les tumultes de la veille pour histoire ancienne. Juste le temps de petit-déjeuner que notre avant-dernière étape point sous nos nez : la Corée du Sud, introduite par la ville de Donghae.
Le navire Eastern Dream est donc arrivé en terre natale, en temps et en heure, le tout à bon port pour être aux petits soins car, lui aussi a besoin de répit et de carburant pour reprendre sa traversée jusqu’au Japon. Néanmoins, son repos est loin d’être éternel puisqu’il ne dure que quatre heures seulement. Cette escale technique étant de courte durée, nous demandons à l’équipage si nous pouvons rester en cabine, le temps de prolonger cette grasse matinée à quai dans petit notre lit douillet.
La réponse se résume en un mot : non.
En temps normal, les passagers enregistrés pour réaliser la double-traversée peuvent malgré tout rester dans leurs vestiaires à la mi-temps, sauf si les membres du personnel navigant effectuent des remplacements durant cette période… ou double leur équipe en nombre !
En effet, si nous sommes conviés à sortir du bateau pour y rentrer aussitôt à nouveau, c’est pour permettre à l’effectif de former sur-le-champ de nouvelles graines de champions aux consignes d’accueil et de sécurité, tout en ayant le champ libre sans contraintes de clientèle le temps de cet interlude.
Afin de savoir si les acquis sont bien à eux, les tout nouveaux stagiaires appliqueront aussitôt leurs leçons auprès du public en réalisant leur premier accueil au contact des voyageurs en direction du Japon, la moitié néophyte partant de Corée du Sud le jour-même,
l’autre moitié vétérane comme nous, partis de Russie depuis la veille.
Nous déménageons donc au plus vite nos aménagements de notre chambre et équipons sans ménagements nos sacs à dos pour les vider derechef lors de notre emménagement, après que le ménage soit réalisé dans la pièce : faire et défaire, même en vacances, c’est toujours travailler !
Terminus ou pas, tout le monde descend. Même sans se bousculer, le nombre de passagers à quai est si conséquent que le groupe forme un long cortège en rang d’oignons que nous fermons sur le port depuis le ferry.
Contrairement au terminal d’aéroport, le port ne possède pas de zone internationale où cet espace de transit permet d’attendre sa prochaine correspondance sans obligation de visa, et le fait de poser les pieds sur la terre ferme nécessite d’être en règle avec les modalités d’entrée du pays, même si ces dernières sont octroyées d’office.
À vrai dire, n’ayant pas le temps nécessaire pour faire une réelle visite sur le sol sud-coréen, ni l’envie de crapahuter des heures avec le sac sur le dos, nous ne sommes pas si pressés de passer les formalités administratives du bureau d’entrée de territoire, contrairement aux personnes pour qui Donghae est le début de leur périple, où leur impatience n’est pas au même niveau, comme la famille du Voyage en théorie, ou très certainement mon sensei et moi-même demain – si tout se passe bien – une fois arrivés au pays du Soleil levant.
En parlant de la famille globe-trotteuse, nous les retrouvons enfin à l’endroit où nos routes se séparent, après de longues procédures douanières : même si tout le monde a pu avoir son visa d’entrée tamponné sur chaque passeport, leur camping-car a moins apprécié les contrôles puisque la police a réquisitionné les substances les plus subversives…. les filets de pommes de terre !
Ces chaleureux au-revoir nous permettent également de voir enfin ce cher camping-car qui a su voir du pays, et quelle fut notre surprise de voir l’intégralité du véhicule peint à la main, affichant une myriade de couleurs qui transforme cette maison mobile en une véritable fresque chatoyante et mouvante.
Depuis la longue attente procédurière jusqu’au départ de la famille voyageuse en camping-car, deux heures sont déjà écoulées. Il nous reste alors deux autres heures pour faire du change, afin d’obtenir nos premiers yens qui seront dépensés au plus tôt sur le bateau, au plus tard une fois arrivés à destination finale.
Une grosse heure d’attente arrive devant nous, et une envie commune s’anime. Nous sommes en Corée du Sud, donc dans un nouveau pays pour nous deux, le premier pays franchi qui soit entièrement asiatique, amarré en pleine ville avec pour obligation de patienter dans celle-ci, tout en ayant libre circulation de la visiter avec un visa d’entrée dans la poche et nos sacs à dos gardés par l’office de tourisme : et si l’occasion ne se présentait plus ?
Au diable la paresse, l’aventure n’attend pas : nous voici tout excités en escapade expresse aux abords de Donghae !
La zone portuaire ne fait sans doute pas partie des lieux les plus prisés des cartes postales du pays, mais les environs nous permettent d’apprendre plusieurs choses sur le pays.
Qui dit Corée dit nouvelle langue et donc nouvel alphabet, qui est très reconnaissable par rapport aux autres alphabets asiatiques, notamment grâce à la présence d’ellipses au sein des caractères, dès les premiers panneaux et boutiques qui se trouvent sous nos yeux.
Les premières rues traversées ne sont pas en reste d’informations non plus, car le sens de circulation automobile se fait encore ici à droite (volant à gauche) avec majoritairement des véhicules nationaux, où la marque Hyundai est en toute logique très largement présente.
Entre entrepôts, commerces, et écoles, le temps de deviner au loin les formes de la vallée Mureung qu’il est temps de retourner au port pour notre ultime traversée.
Sans surprises, beaucoup moins de monde devant les guichets d’immigration et les contrôles de douanes sont expéditifs ; si rapide que le tampon de sortie de territoire sud-coréen a été oublié par les autorités compétentes.
Oui, nos passeports arborent un magnifique tampon mauve d’entrée de territoire sud-coréen, valable trois mois sans date de sortie, indiquant alors que nous ne sommes jamais sortis du pays, bien que nous soyons déjà en mer au-delà de ses frontières.
De quoi rire d’avance pour notre voyage retour dans ces mêmes bureaux d’ici quelques mois, à savoir comment appliquer deux visas d’entrée par personne sans aucun visa de sortie, en espérant que l’absurde ne virera pas au kafkaïen.
Cette préoccupation est néanmoins loin d’être d’actualité car désormais, les regards sont tournés vers l’Est, les yeux fixés sur l’horizon, nous nous dirigeons une bonne fois pour toutes vers le Japon, avec le même vaisseau, la même chambre, mais pas du tout le même équipage.
Non seulement les stagiaires sont aux petits soins avec tous les occupants, mais les anciens membres de l’équipage ayant effectué la précédente traversée ont radicalement changés d’humeur et d’attitude. Avec les voyageurs issus de Russie, l’accueil est sec, et pour les voyageurs allant au Japon, l’accueil est doux : le personnel navigant adapte l’humeur en fonction des coutumes locales et le contraste entre les deux traversées est saisissant !
Même les menus changent leurs cartes : adieu à la soupe de chrysalides et bienvenue au poisson frit, au revoir les incompréhensions et bonjour les sourires.
Le calme est omniprésent, dans le bateau comme sur les flots, ambiance qui augure une belle fin de voyage ainsi qu’un tout nouveau début d’aventure qui s’annonce, et bientôt – qui sait – nous aussi, nous mettrons à rêver des amants de Vérone, au sommet du Fujiyama…